Velours des arbres, un rêve...

La lueur opaline de l'aube se levait sur la forêt d'Oto, où un loup errait silencieux. Les hauts arbres gardaient l'ombre permanente sous les cimes, et l'humidité perlait à son pelage... Nul doute que les ninjas d'Oto avaient remarqué cette nouvelle présence, de loin en loin, ils entendaient quelques hurlements, trouvaient des traces griffues dans l'humus ou bien découvraient des fragments de verre enduits de bile rosâtre.

Pas une forêt à loup. Il était le seul de son espèce dans cette région où poussait les rizières, trop peu de gibier... L'aube se levait. Ookami rôdait sans but précis à la lisière de la forêt, camouflé par l'ombre, puis s'arrêta tandis les portes du village d'Oto se dessinaient entre les troncs et les feuillages. Il était arrivé à son but. Et maintenant, quoi ? La méfiance l'empêchait de venir ouvertement vers le village du Son, aussi restait-il dans la forêt. Selon lui, l'occasion se présenterait assez tôt, où il pourrait approcher le village sans être accueilli par les armes... et pour cela il attendait qu'un ennemi d'Oto se montre. Pas encore connu du village, mais déjà à son service.

...

Tant de jours d'attente à voir défiler le soleil et les étoiles. Rien ne s'était passé. On dit qu'une arme laissée trop longtemps endormie finit par rouiller. Pour un loup, c'était pareil. Du jour au lendemain, plus de maître. Plus de jeu, de combat ou d'entraînement. Il avait obéi à maître, mais maintenant, et malgré son intelligence naissante, il était désoeuvré face au but atteint. Se sentait inutile, seul depuis plus longtemps qu'il ne l'avait jamais été. Il avait perdu son allure d'animal domestique bien nourri, maigrissait en attendant que l'avenir lui fasse un signe. Rêvant des rêves de loup, les yeux grands ouverts.
Son ennui n'avait d'égal que sa faim. S'il restait encore un jour dans cette posture, il risquait de tomber d'inanition. Et pourquoi pas... Pour un loup, c'était égal. Quelque chose lui coupait l'appétit. Il ignore encore qu'on appelle ça le deuil.

La pluie, dégringolant du ciel depuis la nuit dernière, détrempait son pelage noir, et les nappes de brume rendaient indistinctes les portes du village. Les mouvements de l'eau conféraient une qualité de vie onirique à la forêt... Le loup s'enfonçait lentement, lentement dans un rêve. Puis... quelque chose le tira de sa torpeur, quelque chose qui lui fit tourner la tête de côté. Une odeur... Une odeur d'animal mouillé, d'un genre qu'il n'avait jamais senti auparavant, rendue plus précise par l'humidité. Un frémissement d'excitation secoua son corps engourdi, et il se redressa sur ses pattes pour s'ébrouer, avant de flairer l'air à pleins poumons. Déjà l'odeur perdait en force, et se diluait dans le brouillard... Un instant, le loup hésita, le regard tourné vers les portes d'Oto, puis il grogna à voix basse:

"Je n'oublie pas ta parole, maître. Mes pas me ramèneront ici."

Le loup fit volte-face puis s'en alla à toute vitesse dans les profondeurs de la forêt, le nez en l'air, l'oreille aux aguets... Entre les arbres et la brume, il crut voir se découper une silhouette blanche, qui fuyait encore plus vite que lui. Il s'efforça de la suivre, puisant dans toutes ses forces, sinon pour la rattraper, du moins la garder à portée de flair...